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Michel Dector galerie Laurent Godin

14/02/2022

       Des draps de lit « king size » symbolisant des œuvres libérées de la forme dominante du tableau sont accrochés aux murs. Un gigantesque chiffre 1 ou des formes abstraites et sans référent direct sont peintes à la bombe. Sur la plupart d’entre elles, le motif est un gigantesque chiffre 1 reproduit en réserve à l’aide de ruban adhésif blanc auréolé d’un nuage noir vaporisé dans un esprit street art. Trois autres œuvres abstraites également peintes à la bombe figurent des formes colorées autonomes. Le peintre a méthodiquement centré ses motifs sur les supports.    

       Les 1 sont parfois uniques ou réunis en duo. Quand ils sont figurés seuls, leur motif est droit et anonyme ; s’ils sont en duo, l’un penche ou ondule théâtralement vers l’autre dans des postures anthropomorphiques équivoques : certaines mises en scène sont clairement allusives…     

      L’artiste explique ses choix en s’appuyant sur l’expression visuelle du signe graphique 1 : sa forme est minimale, l’épaisseur de son trait lui vaut d’apparaître selon les cas comme un geste, une direction ou une surface « anamorphosée ». D’un point de vue connotatif et métaphorique : « Le 1 a un corps et une tête, son dressement vertical suggère un homme debout…, seul, il rappelle Giacometti » ; sous certaines conditions, sa multiplication peut connoter avec un groupe de personnages, des arbres, des gratte-ciel… L’esthétique très épurée dont s’inspire Michel Dector vise l’articulation conceptuelle et symbolique de signes avec des représentations où l’image semble être une émanation. Formellement réduite à un travail de silhouette et de trace complétée par une plasticité qui se veut évocatrice, chaque œuvre compose et bute sur une proposition plastique d’apparence littérale et par analogie un univers d’illustrateur. Chaque œuvre proposée comme un portrait semble in fine reproduire des plasticités imaginées et développées par d’autres.    

      Les œuvres qui scénarisent des formes abstraites colorées autonomes fonctionnent sur une expression visuelle similaire aux 1. Réduites au squelette d’une forme géométrique oblongue peinte dans un ton vaguement monochrome ou à une transposition descriptive des trois teintes fondamentales et de leurs complémentaires, chaque motif, bien que décalé dans un style street art, fait songer à un slide seulement démonstratif.

        Même en supposant que les draps puissent faire allusion au suaire christique, que les 1 figurent un/des personnage(s) fictif(s), voire que le style visuel des œuvres présume vs réfère à une idée du beau davantage philosophique que tactique de l’art (dans le fil de Support-Surface, de l’art conceptuel proche de Joseph Kossuth ou de pratiques d’installations éphémères), on peine à entrevoir une pratique plus ouverte et réservée que formaliste ou bien des inspirations plus critiques que littérales. 

Diverses expositions dispersées

08/02/2022

Les lumières intérieures d’atelier d’Emmanuelle Pérat à la galerie Univers    

       Emmanuelle Pérat a titré son exposition « Espaces composés ».  Selon les images, il s’agit en fait de vues d’atelier sous l’aspect d’un grenier, d’un appentis, d’une remise ou d’un cabanon, voire de coulisses, parfois d’un espace d’allure troglodyte. La lumière s‘immisce dans chaque lieu supposé comme un secret qui sourd d’une lueur aussi spectaculaire que subreptice et parfois oubliée. Les dessins qu’Emmanuelle Pérat réalise au pastel dans un esprit plus introspectif que descriptif laissent planer un long travail d’imprégnation sensible des environnements.     

       L’artiste complexifie formellement son travail en pistant le regard sur les lieux par des images introspectives. Chaque vue apparentée à des (en)jeux de clairs obscurs fait de la moindre forme une apparition progressive. La lenteur y prend des pauses quand, simultanément dans l’œuvre et dans la pièce de travail, une vue et une expérience plastique se mélangent doucement. On repère des tableaux entreposés et, à l’écart, on imagine l’artiste immobile retenant une vue particulière, saisissant l’occasion d’une distance évocatrice. On la perçoit cherchant à traduire simultanément ce qu’elle voit et ce qui lui semble sensible, tentant des suggestions, se laissant bercer par Rembrandt ou plus en sourdine par Vuillard et peut-être Sam Szafran. Ce qu’elle propose et produit devient un rendu architecturé en même temps qu’une vue de sentiment et d’atmosphère où la lumière glisse, affleure sur et à la périphérie des volumes, enrobe et « charnellise » les espaces. Emmanuelle Pérat voit l’humanité de l’atelier comme un corpus d’images intérieures à la fois banales et énigmatiques.      

        La lumière est un objet qu’il faut capter. Il faut la surprendre, ambiançant patiemment l’espace, s’y installant paisiblement, évoquant des bruits divers ou servant de pauses et mesure des repos. Emmanuelle Pérat retient les images qui la présentent primant sur les faits matériels et qui permettent de méditer sur le travail paradoxal de restitution et de suggestion visuelle. En même temps, les espaces se répondent ou se combinent dans chaque composition. Ce sont des emplacements ou des lieux, des zones plus ou moins restreintes ou des recoins, des parties ou des secteurs, des « ça et là » répertoriés en s’installant. Pour l’artiste, ce sont partout des sas d’expression visuelle et personnelle. Avec chaque dessin, par la grâce du pastel parfaitement maîtrisé par l’artiste, la lumière glisse ou s’épand sensiblement par éclats et lueurs. 

 

Didier Mencoboni chez Galerie Eric Dupont    

     Les dimensions intimistes des tableaux donnent le « La » d’un programme de création et d’expérimentation artistiques consistant techniquement à déposer des feuilles d’or et simulta-nément, à inventer des tableaux en profitant des difficultés de leur application. « Lux ! Episode XIII » est donc le titre de cette exposition par ailleurs définie par son auteur comme suit : « une (ou des) surface(s) qui vibre(nt) à la lumière ».    

       Didier Mencoboni aussi préoccupé que captivé par la fragilité de son matériau naturellement brillant entend « sublimer » les aléas de sa maîtrise dans l’application des feuilles d’or pour initier des compositions picturales originales. Incidemment, les accidents causés par la fragilité des feuilles par endroits mal jointoyées mettent en tension certaines parties des supports qui ressurgissent à cause de décollements imprévus… Le hasard, la spontanéité et l’imperfection trouvent à l’occasion une nouvelle illustration d’intérêts plastiques « innocents » ou de  pratiques aventureuses en ravivant les discussions anciennes et surtout contemporaines (le formalisme critique de Support-Surface notamment) autour des contenus à la fois visuels et esthétiques du fond (vs le contenu) et de la forme (vs le style) dans la peinture. Après un voyage en Chine, l’enthousiasme et la curiosité de Mencoboni pour la technique de la laque trouvent, dit-il, un prolongement sensible et artistique dans cette production dorée aux accents somptueux et à l’éclat lumineux assuré, mais dont l’objet créatif et esthétique paraît un peu daté (on se souvient à minima d’Yves Klein). In fine plus  intéressants rétrospectivement que surprenants aujourd’hui, les tableaux apparaissent être « matiériellement » plus séduisants que des enseignements.*

* voir Emile Bernard, Conversation avec Cézanne, ed. Macula

 

Michel Journiac chez Christophe Gaillard    

     Journiac aimait les corps, les rituels au cours desquels il pouvait physiquement ou par l’intermédiaire des images s’ériger en œuvre d’art ou en étude critique de certains de ses paradigmes esthétiques. La focalisation de l‘exposition sur le thème des mains engage une belle réflexion pointue sur son intérêt plastique et conceptuel pour les signes spécifiques inspirés par l’incarnation quasi religieuse de l’artiste dans son corps métaphysique.

 

Jean Messagier à la galerie Ceysson et Benetière    

         Avec son geste plastique distinctif, l’abstraction lyrique promue par Messagier a ouvert la voie à un style original et expressif d’évocation et de description. Les ressources créatives associées aux idées de format, de surface, de plan ou de mouvement ont été régulièrement activées avec un sens plastique de l’espace et du lieu à la fois techniquement habile et subtilement ironique quant au thème de la beauté esthétique. Cette « rétrospective » intitulée Paradiana et sous titrée  Vieillir et jouir suppose la capacité de l’artiste à jouer de manière décomplexée avec sa notoriété… Il est aussi précisé que les œuvres exposées illustrent sa dernière « période ». Sauf qu’à défaut d’être des productions d’une signature capable d’élargir et sublimer encore son style par un détachement ironique, l’ensemble, d’une pauvreté formelle généralisée a des allures d’effondrement créatif. On s’intéressera donc davantage aux périodes antérieures du peintre si on court après quelque chose de plus qu’un placement financier…

 

Pierre Gaudibert au Musée d’art Moderne de la ville de Paris

         L’exposition rend bien compte des bonheurs et de l’imagination créative offerts à qui fréquen-tait l’ARC (Animation Recherche Confrontation), structure que Gaudibert avait initiée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris entre 1967 et 1972. Je me souviens d’expositions mémorables avec les débuts de Supports Surfaces ou de la Figuration Narrative, de la Jeune Peinture, de l’exposition de Piotr Kowalski… Je me souviens de concerts de free jazz le soir, je me souviens de la musique de Kraanerg dirigée par Xenakis lui-même et de Perséphasa, du même auteur, interprétée par le groupe des Percussions de Strasbourg dispersé dans les espaces du musée… La culture et l’ouverture d’esprit, l’expérimentation et la créativité sous toutes leurs formes y ont été défendues et promues sans relâche. Par sa radicalité politique et humaniste et par ses contributions critiques ou éditoriales d’historien de l’art et d’émulateur, Pierre Gaudibert incarnait à sa façon la vie artistique même. Une histoire follement instructive sur la liberté et la responsabilité de l’engagement.

 

Eva Jospin au Musée de la chasse et de la nature    

       Eva Jospin réalise des sculptures en carton. Son champ d’inspiration largement onirique et historique puise ses sources d’expression dans le romantisme ou l’illustration. Pour ce qui est de la forme, les images de ruines antiques ou de vestiges envahis par la végétation constituent des thèmes de prédilection qu’elle s’efforce de reconstituer ou de réinventer en partie presque à l’identique, voire les imaginer dans des installations spectaculaires.     

       Après avoir accumulé et fixé la matière, elle la travaille comme n’importe quel autre produit sculptural, soit en enlevant du produit soit en modifiant son apparence, jusqu’à son effacement et l’analogie avec une vue en trompe l’œil du motif traité. In fine, on peine à savoir si on se trouve dans un musée de monuments ou dans un espace précis, comme on bute sur l’idée de réplique en relief de ruines d’Hubert Robert…    

        Sa conception de l’œuvre ou d’une pratique plastique de l’in situ est plus difficile à comprendre. Dans les salles du musée, comme déjà au Palais de Tokyo en 2019, le travail d’Eva Jospin semble glisser sur les suggestions du site hôte, et ses sculptures s’insèrent à l’aveugle sans créer de nouvelles perspectives d’imagination pour le spectateur. Une fois remarquée leur exécution parfaite et curieuse, on se souvient surtout d’une pratique d’exécutante habile et opiniâtre.

 

Alain Clément, Galerie Catherine Putman    

      L’exposition présente des lithographies et des sculptures peintes. Si le questionnement entre sculpture et peinture, œuvre en deux ou trois dimensions demeure, si un questionnement historique semble perdurer entre figure (humaine ou nu en particulier) et forme  ou papiers matissiens, on ne peut que remarquer que ces nouvelles propositions ouvrent sur des apparences déçues. Que l’artiste risque des assemblages de crayonnés d’esquisse et de surfaces colorées monochromes semblant découpées, qu’il use d’effets de répétition de motifs ou de mélanges, ses thèmes de travail et d’expression ne dépassent guère les compositions par empilements, accumulations, superpositions et amas hasardeux ou remplissages, voire l’entassement et l’amoncellement d’éléments visuels. De sorte que s’il y a des dépassements, des décalages ou parfois des ambiguïtés de placement créatives entre chaque plan ou chaque objet visuel, rien ne dépasse le constat de formes abstraites arbitrairement posées ou amassées les unes sur les autres.

 

Pat Andrea galerie Les arts Dessinés rue Chapon    

         Les dessins et peintures de Pat Andrea sont fortement teintés d’illustration et de sous entendus narratifs et d’atmosphère érotique. Rien ne semble devoir troubler l’artiste accaparé à ses improvisations et ses réunions de divers personnages des deux sexes, aux physiques bizarres, mis enfantins et vaguement adultes, avec un visage figé ou sans expression. Il y a aussi des animaux, des chiens la plupart du temps, même si parfois des chevaux, des oiseaux ou un chat parviennent à se faufiler dans son imagination fantasque. Le peintre recourt encore à des architectures sommaires mi religieuses mi théâtrales comme dans La Flagellation du Christ de Piero della Fransesca. Souvent encore, les personnages flottent dans l’espace, ou dérivent énigmatiquement les pieds en l’air. Partout aussi, des éléments de paysages.    

        Chaque composition résonne de détails graphiques, de rapports et de correspondances au mieux insolites ou hallucinantes, en fait souvent inquiétantes voire passablement cauchemardesques tant les rapports sont ambigus ou troubles entre les personnages entre eux ou dans leur environnement. Chaque œuvre sourd en ce sens d’étranges correspondances  (autobiographiques ?) parfois inquiétantes. Jean Clair a jadis expliqué cet art comme un courant figuratif instaurateur d’une Nouvelle Subjectivité.*    

         Pat Andrea a pu reconnaître que son geste du dessin réaliste et plus largement ses principes de compositions profitent de l’imaginaire onirique et symbolique incarné par Francis Bacon ou Balthus. Pour ce qui concerne le figural et, dans cette perspective référentielle, l’expressivité et le réalisme conceptuels de Bacon, les œuvres exposées de Pat Andrea me semblent renvoyer à des univers formels plus proches du cinéma d’animation qu’à des préoccupations plastiques-critiques purement picturales.

* Jean Clair, La Nouvelle subjectivité, Paris 1977

 

Astrid Delacourcelle à la galerie Fabrique Contemporaine    

        Astrid Delacourcelle expose de nouvelles suggestions de distance plastique par rapport à un travail pictural réaliste muré dans des opérations de reproduction. Sa sensibilité aux vues d’ombres portées sert de point de départ pour des mises en vues curieuses et subjectives de l’objet pictural. Les modèles de départ sont des ombres projetées depuis l’extérieur dans l’environnement de son atelier. Envahissant l’espace et se « heurtant » à ce qui l’occupe, elles anamorphosent chaque objet sur son passage d’une image spectaculaire ; la lumière qui les porte permet de cerner des images complexes, parfois presque inconcevables ou incompréhensibles et dignes d’un décor de film fantastique.    

     D’abord enregistrée photographiquement, chaque vision sert de prétexte à diverses manipu-lations esthétiques de cadrages, de composition et d’interprétation. L’artiste, soucieuse de ne pas trahir ou dénaturer son mouvement créatif assortit les nouvelles vues de couleurs irréalistes et arbitraires. Astrid Delacourcelle a pour objectif de créer partout de l’insolite et du mystère, lequel est aussi prégnant que celui de transformer le réel en support d’étude pour de nouveaux contenus du travail artistique. Sa culture du dessin d’observation et sa volonté de produire dans la diversité vont dans ce sens, tout en la faisant abonder et référer encore des productions davantage analogiques que librement plastiques, conceptuelles et imaginaires.

Quelques expos…

15/01/2022

Anselm Kiefer au Grand Palais éphémère    

       Rien de neuf depuis sa première occupation du site (à l’époque au rond point des Champs Elysées) il y a une quinzaine d’années, ou depuis sa rétrospective à Beaubourg quelque temps plus tard. C’est encore et comme toujours aussi énorme sans être monumental, toujours aussi expressionniste  et « tripal » sans être récent plastiquement, toujours aussi esthétisant et descriptif sans disrupter le vocabulaire technique susceptible de faire coïncider le rapport entre fond et forme autrement que de façon analogique et descriptive. Dans la lumière lugubre de l’exposition, on est sidéré par les œuvres aux proportions quasi naturelles  des paysages qu’elles reproduisent sans être ébahi par les découvertes plastiques. Et on s’emmerde. 

 

Oda Jaune, chez Templon, rue du Grenier Saint–Lazare  

         Une exposition « virtuose » de peintures (ultra)réalistes sur le thème des métamorphoses et des collages/carambolages de thèmes divers, souvent plus anatomiques qu’érotiques. On songe qu’on a déjà vu des centaines d’œuvres de même esprit, plus ou moins étranges et scolairement exprimées. Techniquement, tout est léché et sans disruption technique, aucune critique du langage pictural descriptif. Ces peintures là sont plutôt grandes, l’une d’elles étale sur environ sept mètres une gigantesque fresque onirique et multifocale autour d’un arbre couché. Au sous sol, une installation reprenant cette toile est vaguement bricolée dans un esprit spectaculaire à la Dali : il s’agit de « coller » à un univers de grotte à la fois merveilleux et onirique… Quelques œuvres de tailles très petites réunies dans une seconde partie de la galerie sauvent en partie l’impression de vide esthétique qui se dégage en rappelant heureusement mais de loin les « désordres » mystérieux d’Odilon Redon… Malgré ce « hasard », on s’ennuie devant ce qui semble n’être qu’une laborieuse démonstration technique.

 

Anthony Caro, chez Templon rue Beaubourg    

        Changement d’esprit. Les sculptures proviennent de la succession de l’artiste et donnent à l’exposition un faux air de rétrospective. On remarque une force constamment aussi créative dans le ton qu’inventive sur la forme. C’est souvent même surprenant d’humour méthodologique et minimaliste dans le geste du volume et la mesure du spatial. En étant tantôt architecturale  et tantôt concentrée sur un mouvement, chaque œuvre draine aussi en plus une idée particulière sur des marquages historiques combinés du monumental et du sculptural, d’où cette impression que l’artiste a pu s’intéresser de très près à la corporéité des volumes. Quelles qu’elles soient, les réalisations sont un régal sur l’art de rendre la conceptualisation du travail d’imagination aussi vivace que ses conclusions.

 

The sape of water par Keith Broadwee, galerie Sémiose    

        L’artiste aime les grenouilles. Il les met en scène dans des situations aussi parodiques que transgressives, aussi inconvenantes que déjantées, jamais à cours de suggestions décalées. Le style, transparent et (ironiquement) très coloré, s’appuie sur un geste cultivé et ferme du dessin livré aux allusions des situations décrites. Qu’il soit descriptif ou allusif, l’artiste cherche à moquer le langage pictural…comme d’autres avant lui. On retient sans surprise la fantaisie illustrative des œuvres sans percuter de nouveaux mondes artistiques.

 

Christophe Robe, galerie Fournier    

       Christian Robe aime la peinture abstraite, et dans cette dernière, les jeux de formes flottant entre silhouettes et empreintes, aux contours incertains et aux contenus ou aux référents vagues et pour partie impalpables, comme des organismes cellulaires dans un monde dématérialisé. L’artiste semble procéder la plupart du temps par agencements, dépôts ou dispersions esthétiques de formes jugées assez esthétiques pour entrer dans un projet de composition purement visuelle. De sorte que chaque effet fait signe d’une esthétique du pochoir de la trace ou de l’empreinte, parfois d’une tache évanescente projetée à l’aide d’un pistolet à peinture. On se trouve in fine devant des sortes de paysage possiblement oniriques ou en train de contempler des fonds marins légèrement agités… Très colorée et indiscutablement plaisante à regarder, chaque œuvre peine à retenir l’attention au delà du dehors. L’artiste, sans jamais titrer ou sembler vouloir rassembler ses œuvres sous un thème d’inspiration, voire chercher l’approfondissement d’un concept plastique conçoit-il avant tout la peinture comme un exercice de production d’univers visuels agréables ou souhaite t-il interroger son travail en problématisant son objet et sa forme ?

Les protocoles fugitifs d’André Guenoun chez Atelier Vincent

19/12/2021

     André Guénoun réalise ses peintures selon un protocole précis. Plusieurs étapes de diverses temporalités sont requises. Tout d’abord, les supports sont des feuilles blanches de qualité, il y tient ! Ensuite, les moyens mis en œuvre : ils se limitent à de l’encre colorée, en l’occurrence les couleurs primaires et secondaires de base, soit six encres des six teintes fondamentales. Puis vient l’esquisse au crayon d’un schéma de travail qui sera « désastrer » (l’expression est de lui…) en déversant dessus ses encres primaires, lesquelles en se rencontrant, en se mélangeant et se mêlant ne pourront que s’amalgamer et se panacher en colorations et aperçus « accidentels ». Excepté quelques opérations de « guidage » qu’André Guénoun reconnaît « forcer » au pinceau, rien n’arrête à priori l‘écoulement des liquides…Des formes se créent en même temps qu’elles apparaissent, des teintes s’imaginent en même temps qu’elles fusionnent…L’analogie est partout et nulle part, on devine et on se convainc de motifs évanescents ou suggestifs, on survole des lieux et des cartes vues du ciel ou simplement des cieux, on arpente en rêve des mondes peut-être souterrains, on devine des aires terrestres et des étangs, on confond des macrocosmes avec des microcosmes : la moindre aventure visuelle « surgit dans une entrevision »*. Les œuvres ne sont pas titrées.    

       Un montage arbitraire vs la signature d’un nouveau dispositif créatif succède aux gestes imaginaires précédents. Sur les murs, les encres rassemblées et agencées côte à côte s’ordonnent en mosaïques, carrelages, damiers ou pavages multicolores. Les feuilles agencées prennent plus d’importance que les coulures d’encres dont elles sont couvertes. On comprend à rebours des premières œuvres que le premier protocole s’apparente à un leurre durant lequel André Guenoun a conçu son travail comme un réservoir d’expression personnelle. Le fait de faire jouer visuellement l’image des côtoiements lui importe parce qu’ils engagent un questionnement esthétique sur les contenus de chaque feuille. Il s’avère ainsi que la relative innocence créative à l’origine des premières encres a été préemptée par un ouvrage artistique conceptuel sur son architecture plastique formelle et expressive. En même temps, les nouvelles configurations instillent de la part de l’artiste un mouvement volontairement lacunaire sur leurs sources : certaines œuvres exposées suggèrent des marelles…    

      André Guenoun entremêle encore son protocole visuel avec un univers coloré polyphonique comme s’il pouvait s’agir de suites musicales ou comme on veut suggèrer des changements de rôle entre le support et l’image qui y est engagée. Nulle continuité forcée d’une feuille à l’autre, juste des rencontres ou des fusions fortuites.  Guenoun est un plasticien qui acte ses enjeux créatifs en pensant leur improvisation.    

       Les encres s’assemblent dans l’emmêlement de leurs motifs évanescents ou suggestifs. Ne parlons plus d’images mais d’aspect, d’atmosphère, peut-être d’une mystique de l’apparition et des lumières inspirantes. L’automatisme qui y fuse fait lui-même œuvre d’une inconsistance d’ironie confrontée à la créativité à priori sans limite des gestes premiers. Comme « avant », les bords des feuilles semblent provisoires, souvent ils apparaissent par immixtion en « limitant » les motifs naturellement inventés par les mouvements fluides des encres colorées en train de se rependre. Partout ça hésite ou ça se fond en s’immatérialisant, partout aussi ça pense en produisant et en figurant de l’inconnaissable « avant ». A d’autres occasions, après l’avoir envahi, un visuel aux formes débridées franchit la surface d’un format et entraine les regards vers le mur ou dans l’environnement conséquemment élevé au grade d’un support. Et c’est dans un même geste tout le lieu et l’occasion de faire de la peinture un temps d’onirisme, et pour l’artiste de rendre ses dispersions à l’état gazeux d’une expression capable de tout emporter avec son processus. On songe autant à quelque théorie du groupe Support-Surfaces sur la continuité ou l’unité du champ pictural qu’à la question aporétique du temps, de l’espace et des lumières de l’œuvre pour le sujet artiste.    

       Les dessins d’André Guenoun sont échafaudés dans les mêmes conditions imaginaires. L’abstraction domine dans un premier temps, elle est fluide sur l’inconstance des silhouettes comme sur celle des enjeux thématiques. Le geste, tantôt purement linéaire et tantôt juste interprété comme trace ponctuelle apparaît à la fois minimaliste et prospecteur, à la fois fugitif vis à vis des figures isolées et rassurant sur les puissances subjectives des images embrouillées. Que les traits soient répétitifs ou mêlés, qu’il y ait des zones ou qu’on entrevoit des silhouettes, que la surface du subjectile soit entièrement ou partiellement prise, André Guenoun laisse le figural advenir contradictoirement avec l’insaisissabilité de son dessin comme avec la fluidité de sa peinture, mais toujours dans le cadre d’un protocole… Comme une oxymore donc ?     

      Les aléas techniques et pratiques servent in fine de moteur, sa peinture avance en questionnent les limites virtuelles du moment de l’œuvre. Fortes des ouvertures créatives de leur protocole, les apparences infinies des motifs et des nuances chromatiques provoquées par André Guenoun surgissent, se déploient ou se dispersent sans volonté extérieure à celle de leur inventeur. L’intermédiarité de formations qui émergent, diverses façons d’échafauder ou de dissoudre des liens entre les divers éléments du travail, ses traversées d’images abstraites ou évocatrices forgent sa manière d’étendre à l’infini ses croyances à ses mondes référents. Chaque protocole dont il use active un travail métaphysique sur l’expression d’un temps continu simultané à celui d’instants indéfinissables.

 

* L’expression est du peintre André Masson.

« Alerte rouge », par Marie Anne Baron à la galerie Fabrique Contemporaine

07/12/2021

         Marie Anne Baron expose une série de peintures de diverses époques sous le titre « Alerte rouge ». Pour l’essentiel, les œuvres présentes s’inspirent de questions environnementales avec des paysages supposés exprimer l’inquiétude d’une nature disparaissant…     

          Pour traduire ce programme philosophique et citoyen difficilement conciliable autrement que par l’illustration engagée, l’artiste tente d’articuler les deux pôles d’une recherche picturale centrée sur un calage périlleux d’images narratives et suggestives. Le discernement mesuré de l’artiste sur les images de communication renvoie ses tableaux à leur forme picturale.    

          L’artiste, initialement formée à l’architecture, puis longtemps galeriste spécialisée dans l’art japonais, s’est laissée emporter par la thématique des mondes flottants caractéristiques d’un aspect de l’esprit extrême oriental. Quels échos veut-elle donner à cette idée aussi poétique que pragmatique dès lors qu’il s’agit de mettre en balance une image signe en même temps que des apparences figurales liées  aux propos de l’instable et de l’apparaissant. Si, fort heureusement, Marie Anne Baron optimise conjointement  sa manière en usant d’aléas techniques comme les coulures volontaires et les accidents formels, des empreintes et des traces, voire des flous imprévus, il faut aussi convenir que certains motifs appuyés comme des silhouettes d’ïles, des nuages, des canopées ou des étendues illimitées dont elle entend se servir (se prémunir ?) sont imagés sans expression visuelle excessive. De sorte qu’au lieu de laisser planer le mystère de moyens plastiques travaillés par « la manière » et in fine emporter le spectateur dans des songes et peut-être quelques inquiétudes d’artiste engagée, l’esthétique de ses tableaux bute sur les descriptions presque littérales d’évocations espérées.

Quelques expositions troublantes…

01/12/2021

Thierry Giac galerie Fabrique Contemporaine                   

          Thierry Giac est architecte. Parfois il peint. Pour son plaisir, et pour peu de chose d’autre. Enfin, il produit des peintures représentant des paysages. Les techniques sont variées, autant que les outils qui les permettent ou dont le peintre se suffit. Il s’ensuit des tableaux de factures marquées, reconnaissables aux différents styles visuels que chaque usage a permis, sinon favorisés.                  Le peintre dément s’inspirer de modèles, il assure tout inventer. Cependant le réalisme des peintures trouble, on présume des sources documentaires devant le travail de reproduction et de traduction expressives. L’artiste les récuse, mais cependant reconnaît voir de nombreuses expositions, de retenir des « vues »… On relève en ce sens que, parfois, des œuvres et des techniques ont été éprouvées ou sont simplement reprises, on repère les traces à succès de manières de peindre reconnues ou vaguement liées à des œuvres ou des époques.             

        Aucun autre fond qu’une pratique d’images superficiellement peintes n’émerge. Inutile d’évoquer une éventuelle attirance pour le fantastique. Pas la peine d’aborder une quelconque ambition plasticienne. Peine perdue si on évoque une ambition de création plastique, voire les débords inconscients d’une philosophie de l’art. Chaque peinture n’est que façade : circulez, il n’y a rien de plus à regarder qu’un tableau feignant d’avoir été « travaillé en peinture ». Thierry Giac se suffit de reproduire d’une certaine manière des vues de paysages et d’exhiber comment il les a peintes en artiste du dimanche.           

          Comme quoi, il est loisible de produire des tableaux majestueusement vides et d’une grandiose absence d’intérêt, des chefs d’œuvres habiles, mais sans épaisseur, légèreté ou aura.    

 

Daniel Dezeuze Galerie Templon rue Beaubourg.             

           Du temps de Support Surface, Dezeuze travaillait la question artistique du châssis, du cadre et du support du tableau dans une veine associant peinture, sculpture, installation et assemblages en tous genres. Tout à la fois minimaliste et ironique, sa production excellait dans des réponses paradoxales entremêlées d’allusions libres et de radicalités formelles. Rien n’a changé avec cette exposition intitulée « Ecrans, Tableaux : variations »…excepté le fond, la forme et le sens de termes qui l’un comme l’autre se sont vidés de tout contenu. Il n’a plus rien et ce n’est même pas drôle.   

 

Jan van Imschoot chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare               

          Jan van Imschoot pratique une peinture savante, bourrée de références thématiques, formel-les et historiques. Parmi les vastes tableaux présents, les natures mortes font montre de leurs sources d’inspirations avec autant de réalité que d’ironie sur les codes visuels et formels. Monet, Cézanne, Chardin, Vermeer, Van Eyck ou Bonnard pointent leur nez avec des natures mortes aux asperges, des tables dont le premier plan est coupé par la présence d’un couteau faisant fonction de palier et de plan admoniteur pour le reste de l’image ; sur une toile, un bord de fenêtre sert en même temps de scène à un ensemble de bouteilles dispersées et à la perspective d’un paysage etc.             Quel que soit son sujet apparent ou la nature du clin d’œil à un artiste ou une œuvre connus, chaque production a le mérite d’être plastiquement à la fois claire et détachée d’un trop plein de sérieux susceptible de faire douter de l’entreprise un peu cynique et goguenarde du peintre affairé à proposer des pastiches pour les peintures et des parodies pour les intitulés.             

          Reste la façon de peindre ou le style un peu « expressionniste » mais surtout « bad painting » pour l’expression picturale, style ou esthétique qu’on peine à associer aux détentes visées ci-avant. Il n’y a pas moins réussi dans toute l’exposition.   

 

Présence Panchounette, Galerie Sémiose             

         L’exposition a pour titre « Section africaine ». Le groupe de plasticiens échafaudé en 1968 et, depuis, réputé informel a entrepris, semble t-il cette fois, de se gausser de la vision de l’art africain traditionnel dans le contexte du commerce « occidental » de l’art. Il réinvestit à cette occasion son goût du travail dilettante ou à priori le plus « idiot » possible, du détournement grotesque et du bricolage cocasse qui assurent sa marque et qui promeuvent depuis 1969 son pédigrée. Le résultat est amusant, sans plus, l’exposition est ironique sans démanger les conventions académiques de l’incongruité plastique et artistique de l’art modeste et se veut tendre avec la beauté de pratiques arbitraires depuis longtemps usuelles dans le domaine de la création contemporaine. Conformes à leur image d’artistes frondeurs et impertinents, les totems, les parodies de monuments ou de stèles et les images (re)peintes et détournées apparaissent dans l’exposition comme des montages hétéroclites et des recompositions baroques dans un contexte paradoxal de provocations d’amateurs et de collectionneurs/spéculateurs prévoyants… Sauf que, si depuis Duchamp le spectateur fait le regard et décide de ce qui est art, il est aujourd’hui aussi réel et entendu que la galerie et le banquier font asymétriquement l’opinion sur sa valeur…             

      La dialectique d’une création engagée politiquement ou d’origine dadaïste fonctionne t-elle encore tous azimuts ou reste t-elle « d’avant-garde » sinon innovante, lorsque plus rien ne saurait être plastiquement empêché ou esthétiquement ralenti, qu’aucune pratique plastique incongrue vs non académique ou qu’aucune hétérogénéité transgressive ne ressort et que toutes les productions artistiques se valent en ne valant plus que ce (ceux) qu’elles assurent (rassurent) ou rapportent ?   

 

Daniel Turner galerie Allen     

     Les trois œuvres exposées se présentent comme des surfaces blanches partiellement « enbrumées » par un nuage évanescent teinté de noir. Réalisée à l’aide par « imprégnation d’une laine d’acier inoxydable appliquée à l’aide d’un polissage à la main », chaque « peinture » dénote un programme simultanément événementiel et sensible du point de vue de l’image (l’effet de masse brumeuse) et minimaliste sur la forme voire la composition (le nuage informe). La question d’un thème ou d’une perspective conceptuelle des œuvres se pose dans le white cube préservé de la galerie comme pour les « contours erratiques des images »* dont «  la matière reconvertie »* n’est référencé qu’à travers une explication écrite mais visuellement inopérante. L’abstraction domine littéralement partout en emportant tout argument interprétatif et en focalisant l’appréciation sur le spectacle partagé de l’installation. Demeurent la beauté immaculée et potentiellement métaphysique de l’environnement naturellement blanc et l’affleurement essentiellement formel d’images d’apesanteur.  

 

* Erik Verhagen, Réinjecter du sens (texte de présentation de l’exposition)

Claire Chesnier au risque d’une aporie esthétique à l’Ahah

26/11/2021

     Chaque œuvre a l’apparence d’une suite continue de dégradés de couleurs passés horizontalement. L’artiste souhaite évoquer un travail complexe d’« Espacements et d’apparitions »…    

     Claire Chesnier tient un discours volontiers scientifique sur la plasticité de son travail. L’expérimen-tation esthétique y teint une part essentielle comme proposition d’explicitation et, semble t’il, prépare sinon géographie l’interprétation de diverses strates de sensibilités visuelles, pratiques ou corporelles à destination du spectateur. Ses peintures étaient jadis construites autour de motifs géométriques irréguliers librement disposés sur la toile et colorés d’une gamme réduite de couleurs appliquées en dégradé sur un fond blanc. Leur rapprochement pour partie réfuté par l’artiste avec certaines œuvres du travail visuel minimaliste d’Elworth Kelly (l’art minimaliste du peintre américain jugé trop « corporel » ne lui convient pas), on pouvait regarder ces peintures comme une tentative de redéfinition du motif pictural quand il paraît libéré des limites contingentes de son support. Les œuvres de Claire Chesnier divergeaient alors par leur silhouette paraissant découpées au hasard et vaguement informelle, par leur réalisation à l’encre colorée en déclenchant un effet de surprise esthétique. « la peinture s’y dessine »* assurait aussi bien sensiblement que conceptuellement l’artiste. En revenant vers la surface unifiée du tableau et tout en conservant l’idée d’un dégradé qui fait aussi le succès de son travail, Claire Chesnier a repris depuis les conventions d’un tableau quadrangulaire entièrement peint…    

       Les peintures exposées à l’Ahah se veulent presque aussi informelles et abstraites vs non figuratives et « non descriptives » que les expériences plastiques des débuts. Les dégradés construisent et s’affirment à contrario davantage comme un motif en halo construit sur des zones colorées se fondant les unes dans les autres comme des nappes diffuses. On continue d’en même temps penser à des lueurs ou, dans un mouvement conventionnel d’interprétation à la fois analogique  et suggestive à des paysages aux contours évanescents.    

        L’artiste indique lors du même entretien que la verticalité de ses compositions trouve son origine dans l’intérêt tactique de jouer avec le poids de l’encre, d’engager un mouvement aussi bien ascendant que tombant de le couleur vers le papier, la laisser créer une forme « qui n’a pas de forme » ou qui épouse toutes les formes dans un esprit extrême oriental («  la peinture s’y dessine…»). Je note qu’en même temps (ou subséquemment) chaque tableau peut en toute objectivité être orienté aussi bien horizontalement qu’en hauteur, le geste semblant monter, descendre ou effectuer un parcours horizontal vers la droite ou la gauche selon le cas, tant les apparences peintes l’autorise aussi et tant le passé artistique de l’artiste peut y faire songer. Cette appropriation chaque arbitraire peut-elle être conçue comme une reprise rémanente des silhouettes flottantes d’antan ?    

           La facture des œuvres est à priori conçue pour paraître chaque fois identique : l’artiste déroule son système avec l’idée poursuivre l’usage de gradations de champs colorés atmosphériques dont elle varie les teintes et qu’elle disposent par paliers horizontaux. A la différence notable d’autres petits tableaux également présents dans l’exposition et produits avec des crayons de couleur selon les codes des dégradés progressifs, les peintures conservent de multiples traces de gestes de mise en œuvre et parfois des détails de facture qui ne semblent pas recherchés ni retenus ou mobilisés. Au lieu d’être diffus et rendus invisibles, ils perturbent le halo des gradations et créent de l’imprévu dans un système plastique sensé insensible et formellement étranger à l’« accidenté ». On observe en ce sens qu’ils défont le continuum du dégradé peint en le parasitant par une présence figurale disruptive potentiellement créative. Faut-il continuer de voir dans le choix de les ignorer visuellement qu’il ne s’agit que d’« incidents » ou imaginer l’artiste indifférente au risque d’un projet formel contredit par l’inattendu ? La somptuosité technique spectaculaire communément assurée par les dégradés pose question devant l’imprédictible d’un « geste possiblement antisystème ». Avec l’idée d’associer les surprises du mouvement productif et de faire dépendre ses données visuelles pas seulement esthétiques ou iconiques, mais plus prosaïquement (re)créatrives, plastiques et critiques, on a envie d’opposer à l’artiste une aporie dans l’oxymore qui dicte l’intitulé de l’exposition « Espacements et d’apparitions ».    

       Un peu contrarié par (ces) quelques « imperfections » ou l’ironie oubliée de hasards méthodolo-giques, j’imagine les œuvres manquant de résonnances et sans ressorts créatifs significatifs qui se confinent aux effets éblouissants d’enchaînements et de glissendi techniques diversement colorés. 

 

* Les apparences…de Claire Chesnier, conversation avec Thierry Lévy-Lasne, in Les apparences…Claire Chesnier, enregistrement vidéo, diffusion Youtude, 31/10/2021.

Gisèle Bonin dans l’image à l’Open Bach

14/11/2021

    

         Gisèle Bonin dessine le corps humain. Elle y travaille exclusivement. Elle le dessine d’après des photographies, souvent plusieurs pour un même dessin. Elle procède par découpes, extraits, sélections, isolement ou combinaisons de détails. Chaque motif est toujours précisément focalisé. Parfois cependant, elle accumule plusieurs vues ou bien mélange différentes vues du même sujet dans le même dessin, la superposition des images compte. On est alors saisi par l’impression d’un bougé concentré dans une formule où l’image devenue à la fois multiple, floue ou hésitante fait penser à une séquence compressée.    

           L’artiste s’est jadis consacrée au torse, à l’ombilic ou à certaines attitudes : une position particu-lière des bras, un geste particulier des mains ou des jambes. Elle a depuis peu, et pour cette exposition, choisi de se concentrer sur l’image spécifique des doigts quand ils reposent sur une autre partie du corps ou quand ils se contractent dans un mouvement, voire quand la synecdoque des doigts s’ouvrant ou se refermant restitue l’image d’une main en action… Bien que descriptif, chaque dessin renvoie aussi chaque fois à des liens touffus avec le réel.    

       On remarque aussi que, assez curieusement, l’échelle de chaque dessin s’éloigne assez peu de l’échelle naturelle de son modèle. La précision des rendus leur donne en même temps l’apparence de macrophotographies, si bien que, quel que soit le format de la feuille, chaque vision paraît intime, fait penser au temps personnellement consacré à leur forme. On se demande alors de qui chaque vue est l’aperçu dessiné et révélé. Pourquoi les dessins, bien que réalisés au crayon de papier noir ou en couleur et parfois à la sanguine, sont-ils tantôt sans contour régulier ou tantôt partiellement vaporeux comme des nuées ? On songe à toutes les nuances dont ils sont faits, ils paraissent si colorés… Pourquoi cette monochromie forcée ? Bien que régulièrement isolés/centrés dans leur feuille de papier, chacun semble tellement mis en scène, comme un œil cyclopéen au milieu d’un visage aveugle de papier ou comme un nombril au sommet d’un ventre oriente le regard, rendant son objectif exclusif. Toutes choses égales, on se demande si elle ne cherche pas à élargir l’intérêt de son travail en dessinant un corps devenu métaphysique.    

        Parfois encore, et bien que sa technique s’apparente à un style hyperréaliste, les parties repré-sentées demeurent approximatives, en étant incomplètes et à l’occasion insinuantes, à tout le moins tacites. Spectateur, on hésite sur les contours qui restent, on reconstitue et on spécule par bribe des unités cohérentes, on tente des conjectures. Pour l’artiste et ce qu’elle représente, qu’est-ce qui fonde ou pose question sur l’« imagéité »*,  le travail visuel et  ses fondements ? Tout semble induire qu’elle joue sur les paramètres, fait prospérer l’envie naturelle du spectateur de littéralement en découdre.    

           Aussi multiples que divers, bien des mystères planent en ce sens autour de ce que montre Gisèle Bonin. On ne sait quel propos persiste et la préoccupe tant le réalisme foncier ou l’imagination qu’elle associe à son travail entremêle, disperse ou diffuse d’autres formules visuelles. On s’interroge et on se perd en suppositions ou en prophéties sur le référent de chaque œuvre. A ce propos, comment se fait-il qu’elle ne le voie qu’en détail, jamais entier, toujours sécant, improbable incarnation d’un propriétaire invisible? Sinon, d’où lui vient-il que sur ce sujet aussi prosaïque que symbolique, seule vaut la partie montrée ? Une hypothèse voit le jour dans l’esthétique à la fois douce, ironique et informelle de dessiner le presque rien avec le plus d’indifférence possible.    

           Très vite, il n’est plus question d’échelle d’images ou de vues complètes mais plutôt de distance et de triangulation du regard contraint d’être simultanément documentaire, symbolique et expressif. L’artiste ne nie pas manipuler, transgresser, trahir de diverses façons les mains saisies dans des positions et des mouvements forcés, pas plus qu’elle ne cherche à feindre de superposer les vues et entretenir la confusion. Veut-elle suggérer qu’on médite sur l’art de troubler la vue du travail artistique ? Qu’elle soit apparemment contractée ou tordue, fermée ou ouverte, dans une pose naturelle ou dans un geste capté, chaque main dessinée assume les limites imaginaires de son micro monde. Le phrasé arbitrairement silencieux et mimé de son travail procède comme un focus arbitraire et déroule une perspective mystérieuse. Dans le blanc princier de ses papiers, Gisèle Bonin imagine le corps de manière qu’on peine à le concevoir autrement ou ailleurs que dans des songes.

 

*Jacques Rancière, L’imagéité, in Le travail des images, Presses du Réel, 2019, pp.76, 78

Peintures de paysages comme des océans à la galerie Fabrique Contemporaine

08/11/2021

        Catherine David peint. Sa peinture tente de capter l’aura d’un paysage d’une largeur interminable, éternellement ondulant comme un océan sans côte ni rivage pour le border. Elle l’évoque comme étendue, sa mesure et sa profondeur à l’aune de la hauteur du motif qui en dresse la vue sur la toile. Pour la fluidité, elle s’appuie sur des combinaisons de lignes ondoyantes et de vagues « vaguelettant » du plus proche aux derniers lointains. Sur la toile, ça devient un rideau vertical presque monochrome, géométrie à la fois frontale et imaginaire de vastitudes incarnées dans une teinte et un dessin se répétant à l’infini.    

         Pour laisser une place au ciel ou augurer l'imaginaire d'un horizon, la mer occupe plus ou moins d’espace dans le tableau. On ne sait pas toujours si l’emprise du thème n’est pas déréalisante pour l’apparence plastique de la peinture. En découpant la surface du tableau en plusieurs bandes, l’artiste semble avoir voulu en même temps construire son motif par plans et le cadrer dans une image esthétiquement sensible. Elle cherche par exemple à entremêler les points de vue d’un horizon et d’un premier plan d’où le spectateur est doublement sensé contempler la peinture. En même temps qu’on est saisi par la frontalité des surfaces peintes, on distingue des séparations et des déplacements significatifs du motif de l’océan sur la surface du subjectile : l’emplacement de la bande réservée à l’image de la mer diverge sur la hauteur des tableaux, la hauteur de l’image varie en s’élargissant, l’importance laissée au ciel change de statut en étant traitée indépendamment du reste du tableau. Quand parfois le motif couvre tout le subjectile, de discrets changements de teintes dans le traitement des couleurs silhouettent des champs équivalents. Conséquemment,  la construction formelle du tableau prime avec succès sur la forme illustrative, priorise efficacement la suggestivité d’une méthode plastique d’expression. Pendant que cette construction est expressive sur certaines œuvres, il arrive qu’en n’étant pas assez conçue sur d’autres, la peinture manque de force…    

           Comme Le moine au bord de la mer par Caspar David Friedrich, le bas réinventé des tableaux permet cependant à l’artiste de suggérer au spectateur d’entrer symboliquement dans chaque image et dans la peinture. A l’exemple du peintre romantique, le pictural se sublime avec la séparation momentanée mais nécessaire de l’illustratif et de la construction plastique critique. La mise en scène d’avant-plans fictifs susceptibles de servir le spectateur sont comparables à des figures d’admonition et vont précisément dans cette direction en augmentant l’effet d’image. Il faut souhaiter que l’artiste y puise de l’inspiration afin de développer davantage son travail créatif.