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C’est joli Mary Cassatt au musée Jaquemard André, sauf que…

28/06/2018

Première rétrospective consacrée à Mary Cassatt. L’image de l’artiste « spécialisée » dans les figures de « mère et enfant » n’a pas besoin d’être démentie. Pareil quant à l’artiste proche des impressionnistes, épousant leurs codes techniques et visuels. Cela donne des tableaux charmants, un dessin à la ligne habile, voluptueuse, des carnations sensuelles, des situations naturelles, parfois curieuses, familiales et attendrissantes toujours, souvent idéales pour plaire. Cela donne par ailleurs des gravures (peu nombreuses dans l’expo) habiles, gravées avec dextérité et goût, d’un style frais et enlevé, sensible, « artiste » comme disait Camille Pissarro.

Sauf que ce n’est souvent qu’à peu près composé, approximativement dessiné, sans recherches sur les effets visuels et limité à une apparence agréable (les « erreurs » de proportions involontaires et/ou inutiles sont fréquentes, les espaces sont confus, le tact impressionniste est plus illusionniste qu’esthétique, tout est réglé sur la facilité d’une manière. Bref, cette peinture souvent superficielle malgré sa surface contemporaine, plus complaisante qu’approfondie, attachante et insouciante campe un joli travail de peintre du dimanche. 

Coder le monde, au Centre Pompidou

25/06/2018

Rien à dire, l’exposition tient son rôle. Cette énième présentation générale des incidences plastiques réciproques du numérique sur la création accuse le coup en tentant au plus près les deux directions de coïncidences avec la réalité techno. La scénographie très factuelle et chronologique répond pédagogiquement et avec efficacité aux attentes d’un public toutefois déjà bien informé sur le sujet, du moins sur certains de ses aspects esthétiques. Pour la curiosité c’est donc un pétard plus qu’humide et une impression de banalité flotte. Restent des documents de diverses natures, pour certains mal connus vs ignorés et cependant historiques dans les domaines de la musique et de la danse et du son (ou la place du corps physique dans les aventures du virtuel, ou l’image du naturel retrouvé/reconçu à l’horizon d’un réencodage). Demeurent inévitablement en contrepoint les poncifs visuels d’une création parfois en difficulté de renouvellement. Pour ma part c’est le bonheur indicible de retrouver l’humour sagace de Merce Cunnigham, sa créativité constamment éveillée. C’est le plaisir de retrouver voire de découvrir, grâce à de courts  extraits, le sens du montage spectaculaire de William Forsythe, et au delà, les fécondités de la recherche actuelle en danse, recherches conversant avec l’actualité curieuse et instable et prospective de l’informatique. C’est l’émotion déjà persévérante des champs expérimentaux de Iannis Xénakis, des instrumentalisations électroniques de la matière sonore par Pierre Henry et Karlheinz Stockhausen.

Et en même temps, je répète, cette apparence mimétique des productions plastiques semblant embourbées dans des « briques Légo », ces effets 3D avec ou sans lunettes, qui peinent à s’alléger, se baroquiser, qui se bornent à des « ambiances sonics » donnent le sentiment d’être sans réel fond subjectif. Sur ces points, l’exposition, bien que prétendument réelle et conceptuelle sur la recherche en design des codes, brille autant par une absence récurrente de sujet affirmé que par des décalages risibles avec l’actualité « journalière » d’engagements, performances et initiatives dans tous les domaines des recherches en design, justement.

Peter Soriano, galerie Fournier, une affaire sans humour ni sens poétique.

16/06/2018

Je connaissais l’humour et la sagacité de Peter Soriano pour les dispositifs à la fois mémoriels et prospectifs, ses manières deplastiquement mettre en cause l’espace et le contexte de son travail, d’en jouer même en étant par ailleurs attentif aux regards des spectateurs, spéculer sur les images qu’ils peuvent dialectiquement s’en faire…

Cette dernière expo Galerie Fournier a pour objet les dessins préparatoires et des vues annoncées de deux interventions prochaines, l’une dans une chapelle du circuit « L’art dans les chapelles », l’autre dans un centre d’art en Suisse. Sur les murs de  la galerie, ça donne des études et des montages dessinés avec une certaine vigueur, les « aperçus » illustratifs de  « fresques murales », des dispositifs entre peinture et sculptures qu’on espère denses.

Un document explique que Peter Soriano fonde son travail sur les deux notions de mémoire et de paysage. Chaque dessin déroulant des codes graphiques et des effets « artistiques » convenus, il faut parallèlement un gros effort de poésie visuelle pour discerner qu’il s’agit plus d’esquisses que d’œuvres. Le fond du gouffre est presque touché avec deux interventions murales badigeonnées sur deux murs par référence aux deux sites d’interventions, tant l’affaire paraît dépourvue de sens. Leurs compositions avec le site de la galerie semblent  insignifiantes dans les perspectives des deux projets initiaux. On est en ce sens face à deux projets inaudibles sans effet de retour à partir des deux résultats. Conventionnelle quand elle retient l’attention, l’expo trouble par son approximation créative, l’esthétique vide des dessins et leur inutile spectacle seulement commercial.

Salo VI : Ile aux trésors, capharnaüm, fourre-tout, brocante, et parfois soldes

14/06/2018

On pouvait craindre un fourre-tout et ça l’est (avec et sans jeu de mot ou dans tous les sens, vu le titre du salon et certaines œuvres au symbolisme cru…) Et peu importe, l’essentiel est que la manifestation existe, qu’elle rappelle heureusement de fait et en image la part érotique et le sexe dans l’inspiration des artistes, toutes formes de pratiques et notoriétés confondues, mais pas indépendamment de tout intérêt esthétique, et c’est une autre affaire (sans jeu de mot ou en tous sens, vu l’ambition du salon et certaines œuvres, encore)… Répandu sur plusieurs sites, Salon VI tient ses promesses de diversité et de profusion sur un univers à l’évidence toujours bien inspirant.

Dans son capharnaüm d’images et de pratiques, l’ensemble est donc descriptif ou illustratif, ésotérique et onirique, tendre et charnel ou lascif et pornographique. Il se veut aussi  simplement que problématiquement suggestif, provocateur et insensible à d’éventuelles réserves ou susceptibilités du spectateur (à tout prendre, braver les subjectivités personnelles semble résumer le viatique de son organisateur) ou au contraire, par quelque implicite sollicitation, cherche à atteindre par l’oxymore de l’abstrait le plus symbolique les tréfonds de ses pensées les plus secrètes. A travers sa brocante particulière, le salon permet in fine de « fréquenter/caresser/pénétrer » chaque fois le temps d’un regard, des œuvres où pour le plaisir, bien entendu personnel, rien n’est jamais littéralement masqué.

Comme on ne peut que s’y attendre, les productions esthétiques s’accordent avec toutes les références, toutes les natures et toutes les techniques artistiques. Elles sont surtout plastiquement d’un intérêt créatif variable, les styles gravitent parfois aussi autour d’engagements et dans un désordre complet (et c’est parfois tant mieux). Les œuvres sont symboliquement floue et nette1, ça batifole avec des consentements qu’on jugera objectivement parfois difficiles, des corps humains remuants, dansants, conquérants ou/et exhibitionnistes apparaissent affolés où laborieux, sont révélés opiniâtres, mesquins ou touristes, bestiaux et arriérés ou mus par des attentes orgiaques. Les minutes sont encore lucifériennes, se découvrent carnavalesques, pragmatiques et simplement mécaniques selon les transports… Disparates sur les sujets mais images toujours, les sujets révèlent des anatomies diversement genrées, squelettes de dieux ou de déesses, autant de démons que de salopards et de harpies supposés, des chaires s’actives ou s ‘expriment passivement, dodelinantes, calinesques, séductrices, pulpeuses et drôles, tendres avec les parodies du trait scénarisé dans des contextes sexys et au hasard clownesques, par extension et peut-être par définition plastiques (avec et sans jeu de mot, clin d’œil ou dans tous les sens…). Leurs auteur(e)s s’exercent parfois à des allusions salaces, des frayères obscènes, des compositions faussement approximatives…

Ce fourre-tout est enthousiasmant par principe, quand bien même ça et là, l’innovation et la recherche plastiques ne constituent pour certains artistes manifestement pas une priorité. En rappelant des gravures japonaises ou des dessins de Rodin, de Picasso ou de Tommy Ungerer, des montages de Molinier ou des détournements situationnistes, des théâtres d’André Masson ou de Gotlib, des contributions érotiques de Pascin ou Wolinski, des productions de fanzines, le dessin et tout ce que l’idée de produire des images permet, nombres d’artistes exposant donnent paradoxalement aussi l’impression et le sentiment d’être ignorants de réussites qui ont pu les précéder. Dès lors, des productions au premier abord séduisantes mais  en réalité franchement convenues soldent ou contredisent la demande du salon de se montrer créatif par des productions techniques singulières et innovantes, voire des regards simplement autres (dans tous les sens du terme…) Leurs auteurs, improbables artistes représentent laborieusement des bites, des chattes ou des culs comme des inconnus désœuvrés et sans humour s’épuisent aux arts plastiques en graphitant laborieusement des images de baises sur des feuilles sottes, des « arrangeurs laborieux » répètent à l’aveugle des associations de formes ou d’idées dans des contextes convenus.

A l’inverse, les dessins de Cornelia Eichhorn, l’érotisme tout en rémanences des coquillages et des os théâtralisés de Julie Dalmon, les sculptures conçues et imprimées en 3D de Matthieu Crismermois, les évocations contorsionnistes et drolatiques d’Aurélie Dubois, les écarts expérimentaux de Chloé Julien témoignent esthétiquement de recherches vives et cultivées, aussi singulières, énigmatiques et malines que plastiques et poétiques.

On comprend in fine que des œuvres ont pu séduire des collectionneurs éveillés.

 

1­– Voir l’essai de l’organisateur Laurent Quénehen publié l’édition spéciale de la revue Le dessin contemporain, consacré à Salo VI

Les privilèges irréversiblement créatifs de Chloé Julien, à la galerie La Voute

10/06/2018

« Chloé Julien expose ses collages, ou plutôt ses décollages — ses envolées plastiques serait plus juste — où le collage est juste le moyen plastique sur lequel, s’étant bien documenté, elle s’est appuyée pour produire des œuvres faites des regroupements furtifs de morceaux d’images, lesquelles sont faites de tout et de rien — au fond, plutôt des corps, images qu’elle découpe et dépare après les avoir recueillies, glanées, piochées, puisées, prélevées dans des magasines à photos et à publicités, qui “parlent de ça ou d’autres choses”, une iconographie hors limites, des vues plus vagues les unes que les autres, sur rien d’essentiel, voire rien du tout,  des images comme de juste simplement et petitement commerciales, inutilement utiles…Encore que ! Les morceaux montrent ici des chairs initiales, ailleurs des chairs corrompues ou érotiques, ils sont ça et là ironiques et goguenard dans leur silhouettes grossièrement détachées, erratiques taches colorées susceptibles de passer pour un pointillisme informel, extraits qui, une fois découpés-déchirés sont devenus sans monde, mais qui d’un coup d’imagination, opposés à la nuit se recomposent à discrétion. Ils ont supposé être des prélèvements dans des revues où ils n’importaient que du seul point de vue de vues de visages, torses, bras, jambes, portions et organes symboliques, accidentellement noir et blanc ou exhibés en « bleu-jaune-rouge-vert-etc. », de telles sortes qu’à les voir rejoués, réinvestis, enfin, ou bref si vous préférez, remis en selles et réunis sur des feuilles de diverses façons et d’aussi divers horizons irrationnellement décidés ou scénarisés au sein de micro installations, à travers divers contextes et opportunités matérielles et immatérielles dans divers tableaux petits ou grands, au sein de supposés reliquaires, bravant des thèmes inévitables comme souvent la mort et la naissance, la volupté et l’amour, collages cependant indociles dans leur suggestivité ou bavards que ni croyance ni préjugé n’arrêtent, sinon leur poésie formelle à la fois ramassée et aventureuse, expérimentale quand le support lui-même totalement transparent s’estompe ou s’élève hors sol au lieu d’être opaque, qu’il est allusif comme la vitre d’un cadre sans corniche, comme un théâtre dans une vitrine ouverte sur la rue, comme une fenêtre sans huisserie délie le réel du fictif, qu’occupés ou inoccupés toutes les possibilités d’ouvrages sont simultanément activées, que ce support, je dis bien support, converti en ciel hypothétique ou en miroir fait voir à l’improviste sous des parties collées, des instants discrets et diserts, de vie sous des envers, comme trois ou quatre vers de haïkus pointent un impromptu… »

Chloé Julien a pris soin de titrer ces œuvres qui semblent ne devoir aux images que ce que l’éveil conserve des rêves. Les compositions, tantôt concentrées tantôt évanescentes oscillent d’un même balancement entre création brute, méditation plastique et bricolage. Il y a effectivement quelque chose d’incongru dans ce travail buissonnier, impalpable et apparemment brouillon, pouvant même donner l’impression d’être involontaire. Chloé Julien livrée à l’immédiateté d’une pratique apparemment sans règle semble vivre son art comme un défi : partir de rien, être brusque devant l’existant, désassembler pour réassembler sans pudeur, être intime avec les gestes du dessin, agir de façon maline avec les ciseaux, faire danser les formes ou ce qui en découle, donner du sujet naissant. Les extractions pratiquées dans les images ont à l’évidence été soigneusement élaborées. L’improvisation vibre en même temps partout, comme si chaque morceau d’image avait été sauvé d’une corbeille bête, que l’utilisable remplaçant l’inutile et l’invention s’inspirant des faveurs du rêve, tout pouvait recouvrer de la dignité, devenir un nouveau regard. Les tableaux comme des lieux d’existence se révèlent des occasions d’arpenter en tous sens les disponibilités de leur surface physique et idéale, d’agir sans limite ou en prenant au sérieux toute focale surprenante. Comme un poète surréaliste provoque par association des idées fantasques, Chloé Julien débride dans le pictural la recherche de sens, appelle l’air et les lumières de soupiraux imaginaires. Chacun ses nuits, ses caves ou ses greniers, ses rêves et leurs raccords.

Dans chaque œuvre, le corps aussi réel que possible s’historicise, se thématise, fraye avec des perspectives bibliques ou oniriques, il guide ou flèche des lectures esthétiques et visionnaires, s’expose aux affres, transes et tourments de cheminements ou de carrefours. L’émotion par réaction batifole ou s’étoile, percute des allégories qui renvoient ou font se télescoper des idées avec des songes. D’évanescents et dispersés les amoncellements de détails deviennent condensés, mutent en points de vues, font signes. Les titres des œuvres filent des repères, qui heureusement ne suffisent pas aux compositions visuelles et leurs détachements formels.

Mais revenons aux supports et aux collages. J’ai évoqué des transparences, de l’immatériel, une irrécusable imagination et des codes visuels et artistiques transgressés, une imperturbable fantaisie technique et des thèmes poétiques, de l’insouciance et une inquiétude peut-être métaphysique, sûrement même, quant à la responsabilité de l’artiste aux prises avec le réel ou la matérialité du travail plastique. Il faut en même temps revenir au caractère premier de cette recherche qui, par de belles parentés avec des pratiques d’art brut, des techniques de montages et de collages qui peuvent paraître naïves et néophytes donne à Chloé Julien l’occasion de réinvestir régulièrement du sens dans ses compositions en mobilisant leur échelle interprétative, en reprenant allusivement pour partie les cosmos de ses aquarelles antérieures. Un exemple de ces liens est sobrement rappelé dans l’exposition. L’apparent désordre ou l’architecture volontairement brouillée de ces compositions, les fusions intuitives de leurs parties me font penser à des histoires à la Lewis Caroll, des théâtres de Tetsumi Kudo ou de Bernard Réquichot dont Roland Barthe suggérait qu’à l’aune de « beaucoup de peintres ont reproduit le corps humain, Réquichot n’a jamais peint que ce corps était toujours celui d’un autre »1 Il faut repérer dan le travail de Chloé Julien ses manières de recomposer et retrouver les corps, de les citer, squelettes et chaires enchevêtrées, emmêlés dans des tableaux mystérieusement essentiels par leurs touches juxtaposées ou énigmatiquement descriptifs à cause de leurs assemblages déroutants. Ses compositions s’abreuvant aux mêmes « forces compactes ou cenrtifuges »2, amas et dégoulinades, semblablement emportées dans des crues ou éthérées comme une scène  tachiste recourent aux mêmes artifices plastiques que celles de Géricault ou Delacroix risquant les séparations de corps entassés, les mêmes avalanches qu’une « Chute des damnés », qu’un déferlement d’apocalypse, d’agitation et de naufrage ; par intuition aussi, émerveillement pour les « terriblità michelangesques (re) contaminées par le bizarre »3, des scènes fantastiques d’Odilon Redon ou de Victor Hugo, les divagations visuelles d’Henri Michaux.

Reste dit que « Par le flou, l’informe, le spectral, la peinture s’ouvre à l’interprétation du spectateur »4. L’aléa formel des collages de Chloé Julien reprend tacitement les aléas d’un art voyageur où son travail puisait ses mystères. Cette nouvelle exposition, et le travail qu’à l’évidence d’imagination qu’elle souhaite approfondir par des contrepieds créatifs est plus qu’une persistance dans l’insatisfaction de recherche. La « tâche précède la figure »5, les compositions fragmentées présument un travail allégorique de l’essence élégiaque d’un tableau potentiel. Il faut voir dans l’exigence affutée, sinon les chemins du travail plastique apparemment élémentaire de Chloé Julien les privilèges de revendications créatives sans doute irréversibles.

    

  Alain Bouaziz, juin 2018

 

1/ Réquichot, par Roland Barthes, in catalogue raisonné, 1973

2,3,4,5/ Jean Clay, in Le romantisme, Hachette Réalité, 1980

Galerie Templon, Motherwell version « Open séries », façon questionnements en séries sur la peinture

01/06/2018

Des années qu’on n’avait eu l’occasion de voir des œuvres de Robert Motherwell, excepté dans des livres sous l’aspect de reproductions incertaines entre approximation et suggestion, excepté ça ou là un collage, plus à vendre qu’à montrer, surtout à vendre quand c’est à la Fiac, comme un chèque dont on aurait ravalé repeint fardé la tronche pour tenter mais rater une beauté artistique par nature, celle du peintre évidemment.

Et tout d’un coup, vingt toiles de la série emblématique des « Opens », vingt œuvres de dimensions diverses : murales pour certaines, de la taille d’une étude intime pour d’autres. Vingt épopées autour du thème de la fenêtre, vingt élégies renouvelées au peuple des artistes. Vingt poésies sur l’ouverture, son cadre, sa présence impliquante, sa vue allusive, sa silhouette juste contournée par un trait de pinceau, par une évocation asymétrique de son signe rectangulaire, par l’enjeu d’un mur qu’elle troue potentiellement et opportunément, par l’aplat géométrique d’un dessein et d’un fond suspendus l’un à l’autre. Vingt mondes silencieux ne demandant que du regard, de loin comme de près, du regard pausé et contemplatif, un rien supposé, un rien sidéré, en vrai totalement mobilisé par le souffle de l’artiste, entrecoupé de pensées, et calme à la fois.

Matisse : d’un clin d’œil, un moine cistercien ou zen : d’un sourire invisible, Masson ou Pollock, Picasso et un calligraphe traditionnel japonais : à travers des gestes et des couleurs d’émotion limpide… Motherwell s’active à ne rien faire qui contrarie son sujet, à ne jamais s’opposer à ce thème que par accident, il a découvert et retenu ce moment où, dans son atelier, en regardant des toiles de diverses surfaces retournées les unes contre les autres, la géométrie des châssis soustrayant aux toiles en partie masquées des tableaux inespérés, son attention pour le thème de l’ouverture et de la fenêtre a retrouvé par sérendipité le chemin d’un questionnement incessant sur le tableau.

Les couleurs et les formes se renvoient, se complètent ou s’opposent avec l’exercice du format. Les œuvres sont des murs qu’on peut voir éloignés autant que circonscrits, faisant face et occupant tout l’espace environnant ou mobilisant un microcosme. Le dessin des fenêtres se borne à leur esquisse, parfois les suggère d’un aplat teinté dont on ne sait que dire, comme une ombre ou un reflet sont des distractions furtives, comme une absence ou un feu follet anticipent la découpe d’une absence, chaque fenêtre retrouvée file une architecture pariétale ou une empreinte première, pour le spectateur : pas une œuvre n’est moins qu’une découverte, chaque tableau est plus qu’un monde inaperçu.

Enfin je vois en vrai des tableaux de cette série qui pour moi devenait mythique, où dès la première reproduction et quelle que fût sa qualité d’image imprimée, dans les mots par défaut du peintre lui-même, je voyais le pictural entretenu par sa recherche opiniâtre, de conséquence en conséquence insatisfaisant, totalement lié à son principe de libre « inabordabilité » par l’anecdote, le sujet illustré, la VLP*… Enfin, libres d’impudences, audacieuses dans leur témérité, je vois quelques-unes de ces hardiesses sensibles.

 

* VLP : « vive la peinture »… 

Truphémus, « rétrospective » chez Claude Bernard, le temps d’Art Paris

12/04/2018

Les pans d’architectures d’un lieu, le mur de la toile et ses surfaces peintes, ou les écrans, loin de faire obstacle à la vue induisent son fond d'image picturale. Truphémus sans discontinuer semble questionner l’objet de son tableau, le lieu supposé de son travail, qui est sa pensée même. Parallèlement, le regard s’ouvre, se découvre ouvrant, hésite et imagine, indivise l’image. Paradoxalement.

Sandrine Elberg et les poussières d’étoiles, galerie du Crous

09/04/2018

Dès l’entrée de la galerie, une série de photographies représentant des galaxies indique le thème de l’exposition : « poussières d’étoiles ». Fonds noirs, impression sur plaques d’aluminium, formats proches d’un carnet de croquis, teintes blanches et métalliques des sujets sur le fond opaque, contours évanescents pour des dispersions de nuages étoilés ; chaque image suggère au spectateur un voyage intérieur et céleste à la fois. Partout ailleurs dans la galerie, la même promesse de décollage produit les mêmes effets de transports oniriques, les murs de la galerie devenue capsule spatiale font place à des hublots à travers lesquels les œuvres, comme des météorites, croisent des planètes imaginaires dans le noir de nuits métaphoriques.

Piquée de curiosité pour son thème de recherche, Sandrine Elberg rejoue l’image de l’information documentaire par une scénarisation qui emprunte ses décors au monde scientifique autant qu’à celui d’apprentis explorateurs. Chaque image, deux fois réinterprétée et son rendu élargi jusqu’à paraître dessiné, entraîne les visiteurs dans des dérives aussi paradoxales que poétiques. Ce ne sont alors plus des photographies qui sont exposées mais des compositions plastiques dont tous les éléments  réalistes ou recréés maillent ensemble. Le grain des étoiles et l’instant de la prise de vue étroitement associés font place au microcosme d’un champ de poussières et aux touches répétées d’une œuvre pointilliste ; les vues s’inversent en passant du négatif au positif, l’intercession visuelle de la teinte aluminium des fonds rend chaque image aussi naturelle que décalée. En même temps, un quadrilogue virtuel semble subtilement s’instaurer à propos du photographique ; Sandrine Elberg échangerait avec Walter Benjamin, Rosalind Krauss et Roland Barthes1 en partant de ce qui fait sémantiquement signe ou ce qui a esthétiquement valeur d’index… Voyages interstellaires, intergalactiques, cosmogoniques, spatiaux ou simplement extraterrestres, voire extrasensoriels, on ne sait alors à partir de quels échos l’artiste construit ses rêves d’échappées. Peut être tous ? Faut-il absolument le savoir ? A t-elle voulu que l’espace de la galerie devienne simultanément un observatoire et une demeure-livre de voyages en exposant à la fois des œuvres photographiques, des dessins extravagants de spationautes et des matériels d’astrophysique ?

Certaines œuvres semblent aussi être ironiquement encadrées comme des portraits tandis que d’autres sont apparentées à un inventaire scientifique. Situé au fond de la galerie, un gigantesque photogramme évoque une vaste fresque pariétale illustrant un ciel imaginaire où par multitudes des planètes et des étoiles de toutes dimensions émergent et flottent. Fonds noirs, reflets métalliques d’une lumière parfois crue, silhouettes allusives, les photographies plus inventées que reproduites de Sandrine Elberg font interférer le réel avec un théâtre démesurément intérieur. Chaque œuvre participe d’une vision parfois plus métaphysique que naturelle. En un instant, juste au moment du clic de la prise de vue, au rappel de « l’imparfait de l’objectif »2, les poussières d’étoiles s’agrègent et se dispersent pour redevenir la nuit étoilée de Van Gogh, un rêve de Munch, un décollage et une fantaisie de Man Ray, une transfiguration d’André Masson, un théâtre apocalyptique de Professeur Tournesol. En permanence, Sandrine Elberg entreprend avec humour et poésie de partager la découverte de ses paysages cosmogoniques.

 

1/ Walter Benjamin, L’aura photograhique in L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ; Rolalind Krauss, Notes sur l’index ; Roland Barthes, La chambre claire. 2/ Robert Doisneau, L’imparfait de l’objectif. 

Tour des galeries rue Chapon et ailleurs

01/04/2018

Galerie Takonoma, un ensemble narratif et intimiste, artistiquement un peu désuet et plus maniéré que plastiquement réfléchi, mais agréable. Plutôt beau même quand les effets de compositions souvent faciles tombent et qu’avec seulement trois images d’une maison isolée plantée dans un paysage aux accents métaphysiques évoquent silencieusement Hopper ou Hammershoi. L’artiste peint alors avec force une somme uniquement picturale. Et ça décolle.

Juste plus loin, Galerie ALB, de la technique et surtout un système d’expression visuelle fermé malgré son sujet : bug sur des jeux électroniques. C’est sans imagination critique, sans créativité formelle et fade.

Quelques pas ensuite, en traversant, Galerie Virginie Louvet, « Spendor Solis » par Anne Gaiss. Des images pouvant faire songer à des tapis végétaux ou des amas d’ailes dans une manière d’artisanat d’excellence. C’est joli et pas surprenant de créa. Camille Pissarro détestait le joli, lui préférant confusément le beau. Quelque soient les échos esthétiques qu’il pouvait entendre du terme, il songeait dans tous les cas à de l’incarnation et de la profondeur. Et là, c’est très mince.

Galerie Papillon, « Elsa Sahal des origines à nos jours ». Une installation et un environnement polychrome composé de turgescences « cacturesques » en céramique. Les pousses joyeusement érotiques et aussi imaginaires que drôlement documentées décrivent une nature élégiaque dans un jardin d’éden. « En accord » avec l’artiste, le commissaire de l’expo a conçu leur installation au milieu d’une étendue noire pouvant évoquer une sorte de nuit liquide. Est-ce pour les accompagner  d’un songe sous-marin ? S’agit-il d’une libre inspiration à partir d’une peinture d’Odilon Redon ou d’un livre qu’aurait conçu sans l’écrire Lewis Caroll ? Bien qu’apparemment destinée à rassembler symboliquement les œuvres, la scénarisation à mon sens excessive n’empêche pas les œuvres d’être joyeusement un art bien débridé.

Galerie Antony Roth, un street artiste se prend pour un peintre sur toile et ne fait rien. Il y a moins superficiel, plus sérieux et autrement créatif avec un artiste lui aussi issu du « street », mais engagé et critique comme Guillaume Mathivet, par exemple. Je crois définitivement qu’on ne fait pas de la peinture, on fait de la recherche en peinture.

Galerie Gaillard, Daniel Pommereulle. Son travail rarement montré ; et soudain, une belle réunion de dessins libres et de dessins de projets, de collages et de montages, de sculptures et d’assemblages… En imbriquant à la fois toutes les pratiques suggestives du surréalisme de Breton, du minimalisme personnel de Giacometti ou de la dérive situ et des techniques que plus tard, certains artistes déclineront à travers l’Arte Povera, les pratiques du montage qu’apprécie Pommereulle vont, viennent ou fusionnent au point que la moindre production est poétiquement déjà une œuvre. L’expo rappelle la profondeur intérieure de survols artistiques où l’artiste ouvrant constamment son regard découvre autant d’architectures que de paysages à humaniser. C’est d’une densité aussi belle qu’impressionnante de sobriété.

Pierre Molinier, même endroit. Corporel, burlesque, provoquant parfois, suggestif : régulièrement, irrespectueux : toujours, surtout libre et aussi finement élaboré que détaché techniquement. On aime ou on est gêné. Sérieusement, c’est très beau.

Plus loin, rue du perche, « L’astrophile » par Laurent Millet à la Galerie particulière. C’est poétique/suggestif et en ce sens plutôt littéraire que visuel, très esthétisant mais plus fabriqué que créatif en somme. Pas surprenant non plus comme production. Peu dérangeant.

Galerie Richard,  « Densité » par Laurence Papouin. Peintures ? Sculptures ? Objets plastiques indéterminés ? Paysages ou suggestions d’architectures en écho avec les audaces de Frank Gerry ? L’artiste semble vouloir défier l’objet physique du tableau en le soumettant aux gestes ou aux mouvements qui l’engagent. On se rappelle certaines pratiques par ailleurs largement labourées d’artistes de Support-Surface, notamment quand les titres ne font qu’énoncer le travail effectué. La liberté créative, le détachement poétique et souvent humoristique de l’artiste au service de ses œuvres marquent le pas quand les titres affadissent les élans qui les ont inspirés. Toujours se souvenir des façons dont Magritte trouvait les titres de ses tableaux.

Galerie Planète Rouge, « Matière noire, partitions étendues » rue Duvivier à Paris 7e. Meryll Ampe, Magalie Sanheira, Matthieu Crimersmois, Anne Flore Cabanis, Frédéric Mattevet, Célio Paillard, 6 artistes sonores et plastiques au service d’œuvres et de créations prioritairement expérimentales exposent leurs productions simultanément dessinées et musicales ou vidéo. Oscillant entre partitions graphiques et partitions sonores improvisées, les démarches pointent des recherches chaque fois magmatiques. Inversement, quand des dessins ne sont pas directement associés à un écho sonore, ils éveillent visuellement des notes d’écoutes. De sorte qu’en accueillant un art d’aventures ou in process, la galerie se teinte en miroir d’une vivacité rapprochée des artistes exposés. Avec cette exposition et malgré son écart géographique du circuit parisien conventionnel des galeries d’art contemporain, la galerie créée et animée par un couple de jeunes graphistes risque avec succès une image d’innovation devenue rare.1

1/ La galerie La Voute (Paris 12e) compte parmi les lieux prenant des risques semblables.